Houillères du bassin Lorrain.

Un réseau à vendre HBL

Le plus grand réseau de chemin de fer industriel français dont l'activité représente actuellement 150 millions de francs de chiffre d'affaires, est à vendre. Trois candidats sont en lice, VFLI, filiale de la SNCF, Socorail du groupe Vivendi et un industriel lorrain. La décision sera prise au cours du premier semestre de cette année.

Annonce, alléchante, pourrait être rédigée ainsi : « A vendre, en Lorraine, deux cents kilomètres de voies dont la moitié en réseau, trente sept locomotives diesel, huit cent trente wagons, trois cents cheminots, trois triages dont un bijou de 45 voies électrifiées pour un trafic de 5 millions de tonnes par an ».

Le plus grand réseau de chemin de fer industriel français - l'un des plus vieux aussi puisque ses premières fondations remontent à de 1860 - est donc prenable. C'est celui des Houillères du bassin lorrain (HBL); qui court de Creutzwald à Forbach, en passant par Carling et Freming-Merlebach, intimement calqué sur les contours de la frontière avec l'Allemagne, il a connu son apogée en 1965 où 28 millions de tonnes de charbon ont circulé sur ses rails qui se déroulaient alors sur 434 kilomètres ! Si la dernière mine de charbon de l'Hexagone, dont il est né, aborde son crépuscule, son réseau ferroviaire, lui, vivra le XXIème siècle.

« Trois puits sont encore exploités par 2 700 mineurs, ils fermeront progressivement d'ici 2005. Mais toutes les activités annexes - centrale électrique, cokerie, transport...- des Houillères seront sauvegardées, pérennisées et vendues, comme il en a été décidé dans le pacte charbonnier de 1995 », explique Jacques Gofart, le directeur du réseau ferroviaire « Charbonnages de France cédera cette année son réseau ferroviaire, afin d'assurer une bonne transition avant la fin de l'extraction du charbon. Si la privatisation est bien négociée, elle permettra un développement des activités. Notre savoir-faire est important. Récemment nous avons obtenu la certification Iso 9002 ».

Déjà aujourd'hui, le transport du charbon ne représente pas la seule activité. Au total, les locomotives des HBL tractent 5 millions de tonnes: 2,9 sont liées à la mine, mais le reste est acheminé pour le compte de clients. Autant de trafic reçu ou remis à Fret SNCF. Les terrains des houillères accueillent un certain nombre d'industries, chimiques ou de transformation, qui ont besoin du rail pour exister. C'est le cas d'Atofina, ou encore de la cokerie de Carling, qui lorsque la mine sera fermée devrait continuer de fonctionner avec du charbon amené de Dunkerque, probablement importé des États-Unis. La présence d'autres entreprises moins importantes ouvre des perspectives. Au total, l'activité du réseau ferroviaire des HBL représente 150 millions de francs de chiffre d'affaires.

Malgré l'âge avancé du parc de locomotives ( plus de 50 ans), c'est tout ce potentiel qui excite aujourd'hui l'appétit de plusieurs candidats. Des trois repreneurs potentiels dont la candidature a été retenue en février par les HBL, on en connaît deux, émanation de deux grands groupes. On trouve ainsi VFLI (voies ferrées locales et industrielles) filiale de SNCF Participations et Socorail, filiale du groupe vivendi (voir La Vie du Rail du 6 décembre). Du troisième candidat, on sait simplement qu'il s'agit d'un industriel lorrain. « Nous choisirons au mieux, détaille Jacques Golant. Pas question de livrer notre réseau à quelqu'un qui voudrait faire autre chose que du chemin de fer, le démanteler pour récupérer les terrains ».

L'appel d'offres sera bientôt publié, et l'heureux élu choisi au premier semestre 2001. Malgré la confidentialité de l'affaire, des indiscrétions donnent VFLI comme très pressenti pour être choisi. Pour sa compétence mais aussi pour raisons politiques, le gouvernement préférant renforcer le pôle ferroviaire public avant la grande ouverture européenne du marché du fret. A coup sûr, la reprise d'un réseau qui exploite des trains mais qui entretient aussi le matériel ferroviaire est une occasion en or. On peut imaginer que l'horizon récemment dessiné par l'Union européenne donne au repreneur des HBL l'idée de sortir un jour celui-ci de ses propres rails, pour assurer un trafic régional. Et pourquoi pas d'abord vers l'Allemagne mitoyenne où l'obtention d'une licence d'exploitant ferroviaire est largement possible. En tous cas, la stratégie de VFLI définie par son président Pierre Gobi donne quelques indications « Notre idée est de transposer ce qui a fait la réussite des chemins de fer américains où les grands réseaux ont laissé aux shortlines, qui disposent de plus de souplesse et de polyvalence, le soin d'organiser le trafic local ».

Marc FRESS0Z LVDR 24-01-01

Voici le plan explicatif et très détaillée qui pèse 148 ko...

 

Au coeur du réseau, les mineurs-cheminots

 

Entre la tristesse d'assister à la fin d'une époque, celle du charbon, et la fierté de savoir que leur chemin de fer suscite encore la convoitise de grands groupes dont la SNCF, le cœur des 300 mineurs-cheminots balance.

La Vie du rail est allée à leur rencontre. Leur réseau ferroviaire va donc être privatisé cette année pour passer aux mains d'une filiale de la SNCF ou de Vivendi. Entre la tristesse amère d'assister à la fin du charbon et le soulagement de savoir que leur chemin de fer survivra à l'écroulement d'un pan de l'histoire industrielle, le coeur des 300 mineurs-cheminots balance. Parmi ces sentiments mêlés, il y a aussi une réelle fierté devant les puissantes convoitises que suscite leur chemin de fer, auxquels ils sont tant attachés. « C'est la preuve que nous avons un réel savoir-faire. Nous n'avons pas à rougir des cheminots de la SNCF ! Notre réseau est apte aux 22,5 tonnes et nos trains tractent jusqu'à 1800 tonnes », indique Sonny Sadler, conducteur de locomotives et responsable CGT des mineurs de Lorraine.

« Nous faisons tout, du wagon isolé au train complet. Nous travaillons pour les houillères et pour les clients et nous conduisons parfois sur le réseau SNCF. Sans parler de l'entretien et de la régulation ». Parmi les mineurs-cheminots, 190 sont affectés à l'exploitation, et 70 à la maintenance. Ils travaillent en 3X8, sur certains postes six jours de suite suivis de 4 jours de repos. Vu le déclin des houillères et l'absence d'embauche, la moyenne d'âge n'est pas très élevée.(!!!!!!! NDLR)

« De temps en temps, on prend un jeune du fond de la mine pour le former au rail », indique Jacques Gofart, le responsable du réseau. La cession prévoit que les cheminots seront mis à disposition du repreneur mais continueront d'être payés par les HBL pendant un certain temps. Le Pacte charbonnier donne la possibilité de partir à 45 ans à condition d'avoir accompli 25 ans de service. Le personnel restant devrait ensuite être directement employé par le repreneur du réseau. « j'ai 50 ans, mais pour moi, partir aujourd'hui serait une trahison », estime Sonny Sadler. Car il reste à obtenir des garanties sociales auprès du futur repreneur. Il y a quelques mois, avec la CGT nationale, il a entrepris des démarches auprès du ministère des Transports pour inciter la SNCF, à être directement candidate à la reprise des HBL, afin que les mineurs bénéficient du statut cheminot. A présent la perspective d'un repreneur dynamique tel que VFLI ou Socorail ne leur fait pas peur, mais la question des garanties sociales devra être posée.

Si, aujourd'hui, le potentiel du réseau ferroviaire des HBL suscite autant d'intérêts, ses mineurs cheminots n'y sont pas pour rien. Depuis plusieurs années, en liaison avec les syndicats cheminots régionaux et des associations comme Agir, Sonny Sadler se démène auprès des élus locaux et des pouvoirs publics pour vanter leur chemin de fer auxquels ils sont viscéralement attachés et sur lequel certains étaient prêts à tirer une croix. « L'autoroute A 31 est bourrée de camions, et certains élus locaux parlent de la doubler c'est incroyable ! Pourquoi ne pas utiliser notre triage de 45 voies électrifiées situé à Morsbach pour monter une plate forme de ferroutage ? J'ai vu qu'il y avait des projets depuis la Lorraine. Il est inutilisé depuis trois ans et pourrait parfaitement resservir », explique le mineur en désignant depuis un pont le faisceau de voies avant de poursuivre la visite sur le site de Saint-Avold. « En fait, ici, il y a quelques années, le Sivom a investi dans un petit terminal de transbordement rail-route, pour désengorger une infrastructure de la SNCF. Malheureusement, ce projet de combiné à avorté : on pourrait le relancer ». Marc FRESSOZ