Coup de gueule d'un permanent Traction

Manques de machines ? Roulements mal concus, usure des sabots, formation au rabais, immobilisation et refus d'engins moteurs, surenchères syndicales...

Autant d'incohérences et d'aberrations aux yeux de notre lecteur indigné et déçu après 17 ans de service.

Dans votre numéro daté du 1er Novembre, vous faites état sous la plume de Claude Ferrero, du « coup de gueule » de Mme Comparini, présidente du conseil régional Rhône-Alpes quant aux problèmes divers rencontrés pour acheminer correctement nos clients en divers points de notre région et ce notamment sur Ambérieu, Valence et Mâcon.

Permanent traction au PC de Lyon depuis près de 17 ans, après avoir œuvré dans le domaine du matériel et comme aide-conducteur, je ne peux que souscrire à cet état de fait et dire tout simplement : « Nous ne sommes pas bons », et souhaiterais apporter quelques précisions et remarques. Régulièrement, à notre modeste place, nous avons tiré la sonnette d'alarme en direction de notre hiérarchie depuis le changement du service d'été sur le manque flagrant de machines, en l'occurrence dans cette série des 889600, puisqu'en grande partie on les trouve sur ces TER incriminés. Sur une quinzaine de journées de roulement, un bon tiers ne pouvait être tenues et il était courant de constater, car nous n'avions pas le choix, la présence régulière de locs non équipées réversibilité (7200, 22200, 26000, 7l00, 6500) avec les inconvénients que cela entraîne dans les gares terminus, quand le choix ne se portait pas sur des automotrices ou autorails à capacité moindre. Alors oui, en période de vacances nous avons tenu le cap tant bien que mal vu la moindre affluence, mais les problèmes ont vite repris début septembre. Et lorsque toutes les cartouches sont épuisées, la seule solution était de supprimer certains trains.

La (les) faute(s) à tout cela ? Principalement à un roulement mal conçu au départ puisque la journée CV (comme véhicule) nous approvisionnant en semaine au départ d'Avignon ne monte jamais sur Lyon, d'autant que nous sommes tributaires du bon vouloir du PC traction de la région de Marseille pour un autre acheminement. Ainsi, ces machines si elles n'étaient pas immobilisées dans leur dépôt propriétaire pour entretien se retrouvaient tantôt sur des marchandises et voyageurs locaux ou bien en direction de la région de Montpellier, pour « cause de pénurie ». Mais miraculeusement, une intervention récente auprès des différents acteurs incriminés due à notre Directeur de Région a singulièrement fait avancer les choses, mais pour combien de temps! On ne pouvait plus ainsi lui cacher la vérité, d'autant que cela grondait dans les chaumières du Bugey. Également, bien que relativement fiables, la « faiblesse » de ces machines réside principalement dans l'usure des sabots vu la nature des trains de voyageurs effectués et l'absence de frein électrique.

Pendant des années, il était mission (presque) impossible de les faire changer dans un établissement de la Région de Lyon, tout ceci dû à la « charge de travail » supplémentaire occasionnée, alors ces engins étaient très souvent rapatriés en véhicule sur Avignon occasionnant de fait la perte d'un potentiel traction. Depuis peu, le dépôt de Vénissieux accepte dans certaines limites, à titre de dépannage, une telle prestation. Amusant lorsque l'on sait que sur Lyon, les points de garage des locs 9600 et rames 3R avec des temps de stationnements conséquents se situent dans un mouchoir de poche, La Mouche, Croix-Barret et Scaronne, et que là rien n'est possible. Amusant, lorsque l'on sait qu'il y a un mois environ, les dépôts de Vénissieux et Avignon étaient en rupture de stock de sabots. Vœux pieux de notre Président Gallois, la réparation de n'importe quel engin en tout point de l'hexagone!

Mais ce temps-là est révolu depuis bien longtemps à notre grand désespoir de gestionnaires. Puis, dans un autre domaine, la refonte et l'accès à notre filière Traction n'est pas (n'a pas été) sans dégâts sur la bonne gestion des locomotives en général. Car s'il était une époque où la formation d'un Permanent Traction s'étalait sur deux années, alternant formations théorique et pratique qui « tenaient largement la route » avec sanction par un examen relativement difficile, cette époque- là est bien révolue. Le recrutement actuel d'un Permanent loc est bien différent; en moins de deux mois par le biais d'une formation au rabais, sans rien connaître au monde de la Traction, il est demandé pour cause de reclassement à des transfuges du Sernam, de la Suge, à des agents des gares ou du matériel s'ils ont l'équivalent du niveau TTMV (Technicien Transport Mouvement), à un attaché TS à bac+2, d'avoir le même potentiel qu'à notre époque. Mais les faits sont là et les capacités de gestion telles que l'Entreprise est en droit d'attendre pour un tel travail sont bien loin d'être acquises. En prise directe avec le trafic SNCF, les rouages de la mécanique Gestion des Locomotives ont plutôt tendance à gripper ces derniers temps, et ce n'est pas fini puisque l'on s'oriente prochainement vers la gestion des moyens par une Commande Centralisée des Locs Fret à Chambéry. Comme si la gestion des engins moteurs était identique à celle d'une épicerie de campagne! D'ailleurs, les dépôts connaissent pareil problème de par le recrutement d'assistants locs au rabais en lieu et place de Chefs de traction comme ce l'était il y a quelques années. Pourtant, il est des postes clé où l'on n'a pas droit à l'erreur si l'on veut un fonctionnement sans faille!

Autre problème bien connu en interne sur tout le réseau Sud-Est mais très tabou celui-là, que l'on ne souhaite pas évoquer en public et dont indirectement les voyageurs font les frais, mais surtout les trains de marchandises depuis quelques années; mais les marchandises, ce sont des denrées qui ne parlent pas, si ce n'est par des indemnités de retard, le mécontentement et très souvent la perte de (gros) clients du transport ferroviaire. Je veux parler des nombreux refus d'engins moteurs, au nom de la « vétusté » et des surenchères syndicales, comme si ces machines n'avaient jamais été entretenues et révisées depuis 10 ou 20 ans en ateliers et dépôts (CC7100, 8100, 9200, 9600, 6500 en ligne de mire...). Depuis plusieurs années, au nom des « bénédictions et accords locaux » entre organisations syndicales, Chefs de traction, Chefs d'établissements et agents de conduite mais différents d'un établissement à un autre,les refus de machines sont monnaie courante:

- refus d'assurer un train avec une loc autre que celle prévue en exposant sur la journée roulement conducteur, alors qu'il s'agissait tout simplement dès la création des roulements informatisés, d'une indication à destination des CTRA pour conception de leur feuille de travail puis « traduite » par la suite en exigence relayée par les O.S.,

- refus d'assurer naguère des trains de voyageurs de nuit sur Paris en 6500 (avant leur spécialisation Fret) et maintenant en tête de marchandises, parce que le roulement loc « prévoit » 7200/22200/26000..., mais surtout parce qu'il faut jouer du manip et non de la VI...

- refus systématiques des 8100 et 7100 sur des parcours de plus de 150 km quand ce n'est pas le refus pur et simple alors qu'aucun autre engin n'est disponible avec des réflexions du genre « ton train, j'en ai rien à foutre, j'applique les consignes syndicales et je rentre à la maison ! »

- et bien d'autres choses encore, moins courantes il est vrai (couleur de l'intérieur des cabines, restrictions médicales...).

Oui, tout ceci nous le vivons quotidiennement, régulièrement des trains sont calés tous les jours suite à ces accords et personne en haut lieu ne semble s'en émouvoir, telle la politique de l'autruche ; le client dans tout ça, on lui ment quant aux vrais problèmes. Quel patron routier accepterait que ses chauffeurs « plantent » sur place leurs camions pour de tels motifs aussi stériles que ceux évoqués, alors qu'avec la séparation des entités SNCF et la libéralisation du transport ferroviaire, nous assisterons bientôt sans doute à la venue de conducteurs étrangers plus mal payés et travaillant davantage. Mais quel patron aussi, patienterait des années avant de voir la livraison de ses nouveaux camions alors que le renouvellement hypothétique de ces machines dites vétustes par celles maintes fois annoncées, véritable serpent de mer, se fait sérieusement attendre. Le fait également de ne pas avoir refondu à temps dès les premiers signes de tempête, les roulements 8100 et 7100, voire par un réaménagement substantiel du confort des cabines de conduite par une meilleure isolation phonique et thermique nous font perdre gros, très gros !

Dans le contexte actuel de reprise, quel patron routier se permettrait de mettre au tas ses « vieux » camions, tel que l'on peut voir partout aux quatre coins de France ces cimetières de locomotives, autorails, voitures voyageurs et wagons, dès lors où il n'aurait pas les moyens de répondre à la demande de trafic en l'absence de moyens financiers pour 1 'acquisition de matériel neuf! Quel patron accepterait de voir, au nom d'hypothétiques économies, une part importante de ses camions « en service » immobilisés des semaines durant suite à des manques de pièces de rechange, de mauvaises qualités d'huiles ! Parlons-en de l'actuelle immobilisation non acceptable de nombreux autorails au dépôt de Lyon-Vaise, d'automotrices au dépôt de Vénissieux, de locs de toute nature aux quatre coins du réseau Sud-Est en file indienne devant les tours en fosse, suite à l'usure prématurées de leurs roues pour avoir voulu changer la qualité d'huile des graisseurs de boudins.

La séparation des Activités Voyageurs, Fret, Infra... ??? Que l'on se (nous) donne également les moyens humains pour travailler correctement ! Mais une entreprise que l'on a volontairement laissé aller, notamment depuis le fameux plan Guillaumat de 1977 et d'autres plans qui ne portent pas son nom mais ne valaient pas mieux, peut-elle donner encore plus ? Dès l'instant où à tous niveaux de l'entreprise nous n'avons plus de vrais Patrons, tels les Raoul Dautry, Louis Armand et quelques autres, ceux qui étaient Cheminots avant d'être des fonctionnaires, ces fonctionnaires actuels davantage liés à leur intérêts personnels et professionnels, la « boutique » ne pourra pas tourner convenablement. Oui, tout ceci, toutes ces incohérences et aberrations, nous le vivons de plus en plus au quotidien ces 4/5 dernières années et n'avons plus les moyens de travailler correctement. Très belle la vitrine européenne du TGV, mais heureusement que le commun des mortels ne met pas son nez dans 1 'arrière boutique. Oui, tout le monde dans notre entreprise a sa part de responsabilité du bas au sommet de la pyramide quant à une certaine démolition de notre entreprise, entreprise que je pensais jadis voir œuvrer au nom du Service Public, mais la gestion par activités achève ainsi mon idéal.

Roland SERMET Permanent Traction PC de Lyon La Vie du Rail - 10 janvier 2001