Voici l'article paru dans le Point de cette semaine. J'ai copié-collé le texte original en bas de cette page, pour ne pas le perdre quand il ira aux archives du Point. Mais l'original est là sur le site du Point.

Jusqu'à aujourd'hui, aucun responsable n'a été inquiété. Ni l'actuel patron de l'ATMB, R. Chardon, ni les anciens dont E. Balladur, à la tête du tunnel de 1968 à 1981. Et c'est pendant cette longue période que le préfet de la région avait envoyé un courrier s'inquiétant de la dangerosité de cet ouvrage.

Ces messieurs ont du sang- des cendres- sur les mains. Espérons que la justice soit courageuse et aille jusqu'au bout, maintenant que les élections sont terminées...

En attendant, les travaux continuent normalement, ils dépasseront les 2 milliards de francs. La galerie de secours-service n'est toujours pas prévue; ça coûterait trop cher et surtout, ça durerait au moins 3 ans. Impossible de rester 3 ans sans toucher un centime... Des radins irresponsables.

D'ici un an, pensez à faire votre testament avant d'emprunter ce cimetière souterrain.

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Tunnel du Mont-Blanc

L'accablante vérité

Mars 1999, 39 personnes trouvent la mort dans l¹incendie d¹un camion sous le Mont-Blanc.

Le Point révèle des éléments du dossier d¹instruction.

Accablant par Philippe Houdart et François Malye

Un réquisitoire implacable : à quelques jours du deuxième anniversaire de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, les pièces essentielles du dossier d¹instruction judiciaire auxquelles Le Point a eu accès sont accablantes. Elles montrent l¹irresponsabilité qui régnait dans le domaine de la sécurité et qui a abouti à la catastrophe la plus meurtrière jamais survenue dans un tunnel routier. Le plus fort bilan enregistré jusque-là était celui du tunnel de Caldecolt, aux États-Unis, en 1982, et ses 7 victimes. Mais 39 personnes sont mortes le 24 mars 1999, entre la France et l¹Italie, quand une catastrophe programmée se produisit en milieu de matinée au kilomètre 6, 2 480 mètres sous l¹aiguille du Midi.

A 10 h 46, Gilbert Degrave, 57 ans, un chauffeur belge, se présente à la cabine n° 5 du péage français au volant d¹un semi-remorque frigorifique Volvo FH12. Il pénètre quelques secondes plus tard dans l¹ouvrage. Quatre kilomètres plus loin, son camion commence à émettre des volutes de fumée blanche. Il est 10 h 55 quand le poids lourd cale après avoir parcouru 6 kilomètres depuis l¹entrée du tunnel et s¹enflamme brutalement. Au même instant, averti par les opacimètres qui ont détecté de la fumée trois minutes plus tôt, le tunnel est fermé depuis la cabine du centre de régulation situé sur la plate-forme française, où veille un seul opérateur, Daniel Claret-Tournier.

Mais à l¹intérieur du tunnel, où ont continué à s¹engouffrer des véhicules, le scénario catastrophe s¹enclenche. Car aucun des feux rouges situés tout au long des 6 kilomètres séparant les véhicules du lieu du sinistre ne s¹allume. Trente-sept personnes roulent sans le savoir vers la fournaise, vers la mort. Les feux rouges ne seront actionnés, selon les policiers de la Division criminelle, que neuf minutes après la fermeture du tunnel : « A 11 h 4 enfin apparaissent les mentions de mise au rouge des feux », notent-ils. Il est déjà trop tard pour les passagers de 24 véhicules, dont 18 poids lourds, qui se retrouvent bloqués derrière le Volvo. Si les quatre semi-remorques qui le suivaient immédiatement sont parvenus à forcer le passage au milieu des fumées noires, l¹enfer s¹ouvre sur les occupants des autres véhicules : les 920 litres de gazole du Volvo et son chargement de 22 tonnes de farine et de margarine se sont embrasés.

« La somme des puissances calorifiques mises en jeu peuvent être de l¹ordre de 2 500 MW, ce qui correspond à la puissance thermique totale d¹une tranche nucléaire de 900 MW », estime dans son rapport remis au juge le 19 octobre 2000 le lieutenant-colonel Jean-François Schmauch, membre de la commission technique de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France. La chaleur est telle que l¹asphalte s¹enflamme ­ hypothèse jugée jusque-là invraisemblable par les experts ­ et précipite l¹asphyxie de la plupart des victimes : « Il y avait des hydrocarbures aliphatiques en quantités notables [Š], cela provenait de la combustion du bitume », écrit Jean-Claude Landry, écotoxicologue, appelé sur les lieux de la catastrophe. Évoquant la chaleur, qui dépassera les 1 000 degrés, il ajoute, après avoir pu inspecter le tunnel quelques jours plus tard : « Les verres encore existants des pare-brise avaient fondu et s¹étaient écoulés comme des gouttes d¹eau [Š], des ossements calcinés comparables à ceux que l¹on sort d¹un four crématoire ont été trouvés sur les sièges des véhicules de manière parfaitement symétrique. »

« Seuls six corps présentant forme humaine ont été retrouvés », notent les enquêteurs. Quarante des 250 pages de leur rapport, insoutenables, sont consacrées aux conditions précises de la mort de chacune des victimes et à leur identification, qui prendra près de deux mois. De ces pages terribles il ressort que beaucoup d¹entre elles ont largement eu le temps de voir la mort : les restes d¹un des chauffeurs de poids lourd qui s¹était caché dans la remorque de son camion frigorifique seront retrouvés plus d¹un mois après la catastrophe. Un autre portait un tee-shirt sur le visage, comme pour se protéger de l¹asphyxie. Un couple est retrouvé prostré serrant un chapelet dans ses mains. D¹après les policiers, « onze usagers auront tenté de prendre la fuite, tous en direction de la France ». Les restes de certains d¹entre eux seront retrouvés à plusieurs centaines de mètres de leur véhicule.

« Les conditions thermiques [Š] ont conduit à un environnement qui dépasse par sa nature et sa toxicité tout ce que l¹homme peut supporter et interdit aux pompiers d¹intervenir, sauf s¹ils sont en mesure de le faire dans le délai que chacun reconnaît être de dix minutes », précise le lieutenant-colonel Schmauch, avant d¹ajouter : « La notion de délais était totalement étrangère aux responsables de l¹ATMB [la société Autoroutes et Tunnel du Mont-Blanc chargée de l¹exploitation de la concession française, ndlr]. C¹est une erreur majeure qui montre à l¹évidence qu¹ils n¹avaient en aucune façon pris conscience de la physique des grands incendies susceptibles de se produire dans les tunnels routiers de grande longueur. [Š] La première préoccupation des responsables du tunnel restait la nécessité d¹en assurer l¹exploitation continue », estime l¹expert.

Les résultats de l¹instruction menée par le juge de Bonneville Franck Guesdon prouvent que, dans ce tunnel qui fut la fierté des ingénieurs français et italiens, la sécurité n¹existait pas ou qu¹au mieux elle datait des années 60, époque à laquelle il fut construit. Les constatations des 70 enquêteurs du SRPJ, les 1 000 interrogatoires, les 11 rapports d¹expertise que Le Point a pu consulter, tout pose la question de la responsabilité des dirigeants des multiples organismes chargés de l¹exploitation de l¹ouvrage : les enquêteurs ont dénombré sept rapports d¹alerte et plusieurs accidents majeurs (voir encadré) qui n¹ont pas suffi à les sensibiliser. La seule liste des équipements défaillants remplit plus de deux pages (voir encadré). Et que dire des témoignages des pompiers professionnels qui démissionnaient les uns après les autres, incapables d¹accepter que l¹on joue ainsi avec les règles les plus élémentaires de sécurité ? « Avec les bénéfices énormes qui ont été amassés, je pense que la société aurait pu faire une grosse amélioration pour la sécurité du personnel et celle des usagers », résumera l¹un d¹eux lors de son audition.

Pourtant, n¹est pas président de la société Autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB) qui veut. Depuis toujours, les présidents de la République successifs y ont recasé les proches du pouvoir en place. Depuis le 27 janvier 1996, c¹est Rémy Chardon, 53 ans, ancien directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, qui dirige l¹ATMB. Dix grands commis de l¹Etat, d¹Edmond Giscard d¹Estaing à Alexandre Sanguinetti, ou encore Charles Salzmann, conseiller technique de François Mitterrand, se sont ainsi succédé à la tête de ce « fromage » de la République. La plus longue présidence a été assurée par Edouard Balladur, qui y siégea de 1968 à 1981, et que le dossier d¹instruction n¹épargne d¹ailleurs pas. Le deuxième volet de l¹enquête menée par Le Point (voir page 70) est consacré à l¹absence de décisions prises par ces hauts personnages de l¹Etat. Mais il faut revenir à cette matinée du 24 mars 1999 pour mieux voir quelles en ont été les conséquences.

Un seul pompier professionnel

Pour le lieutenant-colonel Schmauch, il y a trois facteurs aggravants dans cette première partie de la catastrophe : « La réaction trop lente dans les salles de régulation française et italienne pour déclencher l¹alerte a conduit à un sinistre majeur [Š], l¹extracteur des fumées fonctionnait à l¹envers, soufflage au lieu d¹extraction, et propulsait les fumées vers l¹arrière de la colonne de véhicules [Š], les véhicules n¹ont pas été stoppés aux feux rouges à l¹intérieur du tunnel et sont venus tous sans exception s¹arrêter les uns derrière les autres derrière le poids lourd. » Ce dernier point est capital : selon le rapport remis au juge par M. Guichard, expert en incendies, « le décalage de neuf minutes existant dans la mise en fonction du feu rouge à l¹entrée du tunnel et celle des feux à l¹intérieur est la cause aggravante du sinistre [Š]. Sans ce décalage, le nombre de victimes aurait pu être évité ou du moins il aurait été quasi inexistant ». Et de rester confondu que le tunnel ne dispose pas d¹un système automatique mettant les feux au rouge dès que le premier opacimètre détecte une fumée : « En termes de technique et de sécurité, il s¹agit d¹une faute grave. » Mais, à 10 h 57, une autre erreur dramatique va être commise par les responsables de la sécurité. Depuis la salle de régulation, ce sont maintenant trois vagues de pompiers qu¹ils vont, sans le savoir, envoyer à la mort.

Dans cette salle, l¹ensemble des témoignages recueillis par les enquêteurs l¹atteste, c¹est déjà la panique. Et pourtant, les responsables n¹imaginent pas ce qui se passe au milieu du tunnel : les caméras sont aveugles à cause des fumées et l¹ouvrage n¹est pas équipé d¹un système permettant de compter les véhicules passés derrière le Volvo ! Pour l¹ensemble des responsables, personne n¹est bloqué : seul subsiste l¹incendie d¹un poids lourd qu¹il faut maîtriser. On décide donc d¹envoyer deux équipes de pompiers de la société. Ceux-ci n¹ont en fait de pompier que le nom. Car ce que vont découvrir les policiers est à peine croyable : un seul des pompiers est un professionnel, les autres sont des employés de l¹ATMB qui remplissent ce rôle de premier secours. En fait, tous les salariés sont quasiment obligés de signer un avenant à leur contrat stipulant qu¹ils sont pompiers volontaires et s¹engagent à suivre une formation en échange d¹une prime mensuelle de 580 francs. « Je peux vous dire qu¹on m¹a fait comprendre qu¹il convenait que je signe ce document par lequel je m¹engageais à aider le pompier si je voulais être embauché », déclarera l¹un d¹eux devant les policiers. Un autre ajoute : « J¹ai l¹impression que la direction voulait un service de sécurité uniquement pour répondre aux exigences des règlements. »

Une formation « light »

Car cette formation, peu d¹entre eux la suivent. Pour les policiers, la moyenne de présence sur les quatre dernières années à la journée mensuelle de formation dispensée par la société Cofisec, à Ecully, est de 15 salariés sur 52. Une formation light qui n¹apprend que les gestes de premier secours et ne coûte que 50 000 francs par an à l¹ATMB. Mais il faut dire que l¹exemple de l¹absentéisme ­ jamais réprimé par la société ­ venait de haut : le directeur de la sécurité de l¹ATMB, Gérard Roncoli, n¹y a jamais assisté.

Certains des « pompiers » de l¹ATMB vont pénétrer dans le tunnel « en chaussures de ville et chemisette », selon les policiers. Au bout de quelques kilomètres, ils sont pris au piège : leurs véhicules calent, et au milieu d¹une fumée opaque ils se précipitent dans les refuges pressurisés. Seul espoir, les pompiers de la caserne de Chamonix, qui arrivent sur les lieux quatorze minutes après le début du sinistre. Quand ces professionnels débarquent de leurs camions, ils ne savent rien. Car la gestion de l¹information est et restera calamiteuse tout au long de la catastrophe. Sur la main courante du SDIS 74 (service départemental d¹incendie et de secours de Haute-Savoie) est en effet noté : « Intervention pour un feu poids lourd dans le tunnel [Š] aucune personne utilisant le tunnel ne serait coincée. » Les pompiers ont du retard, car le régulateur du tunnel, dépassé, a attendu six minutes pour les prévenir et a perdu de précieux instants en ne se servant pas de la ligne téléphonique réservée, mais a composé le 18Š « Il nous apparaît très surprenant que les responsables de l¹ATMB aient pu admettre que tous les véhicules qui suivaient le camion soient normalement sortis du tunnel après l¹avoir dépassé, écrit le lieutenant-colonel Schmauch. C¹est là une erreur d¹appréciation fondamentale [Š]. La consigne des consignes reste le blocage immédiat de la circulation aux entrées du tunnel sur le moindre accident.» Il faudra attendre 14 heures pour qu¹un informaticien épluche de sa propre initiative les listings informatiques du péage. Il met en évidence que 30 véhicules peuvent être bloqués. Mais cette information n¹est pas prise en compte : « Il est clair que j¹ai eu le sentiment que cela n¹intéressait pas vraiment les responsables de la société, déclarera-t-il aux enquêteurs. [Š] Aucun d¹entre eux ne m¹a demandé quoi que ce soit ni avant l¹établissement de notre premier listing ni après. »

Huit heures à plat ventre

« Le personnel de l¹ATMB pouvait arrêter les sapeurs-pompiers de Chamonix à l¹entrée du tunnel. Pour cela, il fallait qu¹ils prennent conscience de la gravité de l¹événement, mais les formations qu¹ils avaient reçues ne les avaient en aucun cas préparés à cela », ajoute le lieutenant-colonel Schmauch. Car les sauveteurs qui vont pénétrer dans le tunnel sont totalement sous-équipés, notamment en appareils respiratoires. Et eux aussi vont devenir prisonniers du tunnel. L¹un d¹eux, Georges Tosello, 51 ans, en mourra. La plupart des survivants seront hospitalisés dans un état grave. « Mes effectifs ont été envoyés avec la même inconscience vers ce foyer alors que la mission était impossible et inutile, car le foyer ne pouvait être attaqué que par nos collègues italiens, qui bénéficiaient des vents favorables », expliquera le capitaine Comte, chef des pompiers de Chamonix.

Mais, côté italien, la situation est inimaginable : l¹alarme incendie est en panne, il n¹y a pas de pompiers sur la plate-formeŠ Ce sont ceux de Courmayeur qui sont chargés des interventions. Ils mettront vingt minutes à arriver. Un membre des secours de la société italienne, Pierluco Tinazzi, 29 ans, un motard qui tentait de porter secours aux victimes, sera retrouvé mort avec l¹une d¹entre elles le lendemain dans un abri. A 13 h 48, l¹ensemble des plans d¹alerte est déclenché. Mais les premiers sauveteurs ne sont évacués du tunnel qu¹à 16 h 4. Les six employés de l¹ATMB prisonniers du refuge 17 et les trois pompiers qui les avaient rejoints ne seront évacués qu¹à 18 h 35. Ils survivront près de huit heures à plat ventre, le visage collé contre les bouches d¹air fixées au sol. Pour le lieutenant-colonel Schmauch, « toutes les situations de crises rencontrées depuis la mise en exploitation du tunnel ayant été gérées aux limites, il suffisait que l¹une ou plusieurs de ces dernières soient franchies pour qu¹une situation difficile à maîtriser devienne une situation échappant à toutes les formes de contrôle. Pour nous, cela s¹est produit le 24 mars 1999 ».

Le mégot qui a tout déclenché

Parmi les différentes hypothèses, un simple mégot pourrait être à l¹origine du drame. Dans son rapport établi le 15 septembre 2000, l¹expert Gilbert Lavoue est formel : « J¹estime qu¹une cigarette enflammée a été aspirée environ 1 minute et 48 secondes avant que le camion de M. Degrave ne s¹arrête au péage. Pendant ce temps, le filtre à air ne dégage ni fumées ni flammes, se contentant de charbonner sous l¹impact de l¹extrémité du mégot en ignition ou des brins de tabac en train de se consumer. »

 

Le Point le 19 Mars 2001